« Pourquoi cette attirance pour ces ruines… pourquoi cette fascination ? C'est qu'il y a là quelque chose d'immuable, alors que la vie est faite de tragédie… » (Jean-Daniel Pollet, 2005)
Après « Les lieux, la guerre » en 2015, Myriam Bucquoit nous propose, dans cette nouvelle exposition, une suite de peintures qui lui ont été inspirées par un film de Jean-Daniel Pollet de 1963 intitulé « Méditerranée ». Elle s'est fixée, dans un premier temps, sur un choix limité de photogrammes extraits du film : paysages avec ou sans ruines et fragments d'architectures et de sculptures, hors de toute présence humaine. Ces images-idéogrammes ont ensuite fait l'objet d'un travail pictural qui concerne tout autant le cadrage (la composition), les formats des œuvres et le rythme de leur présentation dans l'espace, que le traitement de la matière elle-même : matité et couleurs assourdies propres au retrait, à l'enfouissement…
Á l'instar du film de Pollet, mais par des voies spécifiques à la peinture, l'exposition dans sa globalité « nous entraîne à vivre cette pensée "qui est au milieu des terres", la pensée le cachant… » (Marcelin Pleynet, 1963)
Étienne Armandon nous explique ainsi la genèse du titre a priori énigmatique qu'il a choisi pour son exposition : « Ce titre n'a pas de signification mais une origine. C'est une parodie heideggérienne qui s'énonce par la question : "Pourquoi y a-t-il l'étang et non pas plutôt rien ?" Réponse : "À cause des canards"».
Il nous semble qu'il faut compléter par une autre question ce qui pourrait passer chez l'artiste pour une fantaisie de langage sans conséquence : « Pourquoi y a-t-il encore la peinture et non pas plutôt rien ? ». Réponse de Gerhard Richter : « [La peinture] est une tentative de donner forme à l'incapacité et à la détresse, pour les visualiser. Si j'ai de la chance, le résultat est vrai et évident, bon et constructif, de sorte que la forme ne doit rien à l'ironie ni au cynisme. » (Entretien avec Nicholas Serota, 2011)). Et Étienne Armandon de citer Francis Ponge : « Quand j'ai pris mon parti de l'Absurde, il me reste à publier la relation de mon échec. Sous une forme plaisante, autant que possible. »
D'où il faut en déduire que l'étang et ses canards font partie de l'abracadabra de l'artiste, de sa stratégie pour accéder – lucidement, courageusement, peut-être même drôlement – au cœur du travail pictural. Pour en faire le "Tableau", en quelque sorte.
Des œuvres de ces sept artistes sont réunies dans cette exposition qui a pris pour titre le nom de la rue, à Bologne, où Giorgio Morandi a vécu et travaillé pendant presque cinquante ans. Cette information apportée, une mise en garde s'impose immédiatement : il ne s'agit en aucun cas d'un « hommage » et nous ne voulons pas laisser entendre que des liens explicites, des références ou des influences clairement identifiables existent entre les œuvres des peintres et photographes énumérés plus haut (Luigi Ghirri excepté) et celles de Morandi. Pas de « fil rouge » donc, mais plutôt une réminiscence — vague, très vague. Comme un écho secret, un « état d'âme » qui aurait à voir avec l'esprit plus qu'avec la forme (ou le genre).
Cette assonance ténue, nous l'appellerons intériorité et dépouillement, incertitude de la représentation et de la mémoire des choses, radicalité et infinie patience, silence. (« Le silence qui entoure le silence » disait Gilles Aillaud à propos de Vermeer).