Photo 1 en taille normale
Pierre Moignard

 

Aliboron & Cie. Quelques figures animales

Dieter Appelt, Myriam Bucquoit, Bernard Crespin, Jean Dupanier,
Hervé Jamen, Pierre Moignard, Lionel Sabatté

du 2 octobre au 11 décembre 2010

Le dictionnaire nous enseigne qu’un aliboron désigna d’abord un ignorant qui fait le connaisseur – un homme donc – puis, par analogie, un âne. L’âne prit sa revanche et redevint homme sous le nom de Boronali. Plus exactement, il devint peintre (même si le singe était déjà passé par là). C’est dire que l’animal et l’artiste eurent souvent partie liée, et que ce ne fut pas toujours bon ni pour l’un ni pour l’autre… Ne pensons plus à mal et regardons les quelques « figures animales » regroupées dans cette exposition (peintures, photos, dessin, sculpture).

 

Le Chien de Minneapolis de Dieter Appelt(1935*), une photographie de 1989, prend la forme d’une « figure fantomatique de chien atemporel, cerbère domestique minéralisé, recristallisation improbable d’un modèle biologique perdu, qui évoque à la fois le cave canem des mosaïques romaines et l’empreinte de l’animal dans les couches de cendre de Pompéi. Une vague idée de ce qui reste du monde, condensé dans le souffle hypnotique de la lumière » selon Michel Frizot.

 

Comment ne pas relier cette dernière pensée au tableau de Myriam Bucquoit (1952*), Tremblement de terre (2010), allégorie possible d’une fin du monde où le cochon, ce « cousin mal aimé » de l’homme, erre, archaïque et solitaire survivant, dans les décombres souterrains d’une ultime catastrophe.

 

Les deux vaches de Bernard Crespin (1945*) n’en sont qu’une (diptyque de 1977) : photographié dans une posture identique mais dans deux paysages différents, l’animal devient une sculpture mentale qui – avant le numérique, soulignons-le – autorise l’artiste à soulever et déplacer le monde par le seul truchement de deux déclics patiemment calculés…

 

Jean Dupanier (1939*) pratique le dessin par décalque d’une image photographique, en l’occurence celle d’un ours (à sa taille réelle ou presque), analysant la structure du sujet représenté jusqu’aux limites du discernable. L’écriture graphique obtenue, sorte de réseau architectonique ou cristallographique, recompose les textures et les lumières hors de toute interprétation purement imitative et précisionniste. Un retour, peut-être, à L’état de nature puisque tel est le titre de l’œuvre, datée de 2010.

 

Les têtes de chiens de Hervé Jamen (1959*) possèdent une force picturale évocatrice de certaines œuvres de Bassano, Géricault ou Courbet – des « visages » d’animaux dirait Élisabeth de Fontenay. Trois figures animales tour à tour porteuses du trouble anthropomorphique, du naturalisme le plus sidérant ou d’une mystérieuse présence totémique.

 

Dans sa série de peintures intitulées Pourquoi moi, l’âne rigolard de Pierre Moignard(1961*) symbolise-t-il la figure du mal et doit-on voir dans ce grotesque aliboron « l’ombre expansionniste de l’ânerie politique » (Didier Ottinger) ; ou, plus simplement, est-ce une allégorie du peintre lui-même, définitivement métamorphosé en stupide barbouilleur, histrion ricanant qui nous prend à témoin de sa propre impuissance face au spectacle du monde ?

 

L’œuvre de Lionel Sabatté (1975*) pourrait être la réponse à la devinette enfantine (et quelque peu surréaliste) : « Qu’est devenu le troupeau de moutons qui errait cet été dans le métro Châtelet ? ». Réponse : la sculpture d’un loup (Août, 2010), plus grande que nature, modelée avec les moutons de poussières récoltés dans le métro par l’artiste. « …C’est ça qui me plaît dans ce matériau… (on y voit les cheveux de millions de gens) » nous dit Lionel Sabatté, qui a le projet de réaliser une meute de douze loups.